« Créons un réseau de sociétés coopératives d’intérêt collectif pour produire les médicaments » tribune de François Dechy

Tribune parue dans Le Monde cosignée par François Dechy – Entrepreneur social, fondateur du groupe d’entreprises d’insertion Baluchon et Jérôme Saddier – Président de la Chambre française de l’économie sociale et solidaire/ESS France

Entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, François Dechy et Jérôme Saddier proposent, dans une tribune au « Monde », de confier à un réseau de coopératives la production des principes actifs et des molécules dont la sécurité n’est plus assurée par une industrie pharmaceutique financiarisée et mondialisée.

Avec ses briques typiques de l’architecture ouvrière des années 1920, le laboratoire Roussel-Uclaf-Sanofi de Romainville était l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique en France. Des générations d’ouvriers, de techniciens de laboratoire, de chercheurs s’y sont rendues chaque jour avec le sentiment d’être utiles. Pourtant, alors qu’il était toujours rentable, le site a définitivement fermé ses portes en 2013. Et trois mille familles ont subi la violence du choc.

Cet exemple, parmi tant d’autres, est révélateur des errements de notre politique industrielle et des conséquences désastreuses de la financiarisation de notre économie. A l’heure de la globalisation à flux tendu et de la finance reine, le médicament a été considéré comme un produit ordinaire, engendrant des choix stratégiques court-termistes, fondés sur la seule maximisation du profit.

Abandon de souveraineté

Pour quels résultats ?

Ce sont d’abord dix mille emplois directs dans le secteur qui ont été détruits au cours des dix dernières années, alors même que ces activités étaient parfaitement viables et rentables comme à Romainville.
Plus grave encore, cette stratégie nous a fait abandonner un large pan de notre souveraineté : 80 % des principes actifs nécessaires à la fabrication des médicaments sont désormais produits en Chine et en Inde. Une situation qui entraîne des ruptures fréquentes d’approvisionnement, déplorées par les soignants depuis des années.

Et c’est seulement aujourd’hui, alors que nous traversons la plus grande crise sanitaire que nous ayons connue ces cent dernières années, que la réalité reprend le dessus sur les fantasmes néolibéraux : le médicament n’est pas un produit comme un autre. Il est stratégique. C’est un produit relevant du bien commun et de l’indépendance nationale.

En délocalisant, ce n’est pas seulement les emplois et les savoirs faire qui ont été détruits, c’est notre sécurité sanitaire que nous avons fragilisée.

Échec de la technocratie française

Cette histoire n’est pas seulement celle de la faillite de la mondialisation des échanges et de la financiarisation de l’économie. C’est l’échec de la technocratie française façonnée à l’idée que la verticalité colbertiste et le marché libre font bon ménage. C’est surtout l’échec de notre politique industrielle qui méconnaît les besoins et les dynamiques des territoires.

Il est temps de remettre les choses à leur place.

Le sort du médicament en France doit désormais impliquer toutes les parties prenantes, dans une logique démocratique de l’exercice de notre souveraineté. Place au dialogue et à la coopération entre l’Etat, les personnels de santé, les mutuelles, les territoires, les citoyens…

La relocalisation de la production de principes actifs et des médicaments doit être l’une des composantes du plan de relance qui sera établi par le gouvernement. Ce chantier devra faire l’objet d’un débat démocratique et d’une stratégie de développement industriel au service de l’intérêt général et des territoires. La solution ne sera ni dans le tout public, ni dans le tout privé.

Un seul modèle d’entreprise sait développer viabilité économique au service de l’intérêt général, en mobilisant toutes les parties prenantes et en réinvestissant ses bénéfices au service de son projet social : ce sont les entreprises de l’économie sociale et solidaire.

En priorité en Seine-Saint-Denis

Lançons un consortium coopératif qui associera l’Etat et les entreprises du médicament, autant que les mutuelles de santé, les collectivités locales, et les citoyens, pour identifier les médicaments dont la production doit être relocalisée. Créons l’économie sociale et solidaire du médicament.

Développons, avec le soutien de l’Europe, de la Banque des territoires et des acteurs de la finance éthique et solidaire, un réseau de sociétés coopératives d’intérêt collectif qui produiront les principes actifs et les médicaments concernés.

Implantons ces entreprises sur les territoires qui ont souffert de la désindustrialisation, créons des emplois, stimulons des filières de formations – en priorité là où c’est nécessaire, comme en Seine-Saint-Denis.

Il dépend de nous tous que « les jours heureux » de l’économie française renaissent ici et partout sur le sol national. Il dépend de nous tous d’en finir avec le grand déménagement de nos activités productives et de renouer un développement maîtrisé et durable de notre pays. Il dépend de chacun d’entre nous de remettre l’économie au service de l’humain, de nos territoires et de la planète.

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